Viser une étoile dans le ciel

29 Juil 2009

Par Benoit Laporte – 29 juillet 16h00

Les nuits ici sont courtes, presqu’inexistantes.  Mathieu et Jean-Pierre, nos couche-tard, ont tenté à plusieurs reprises de rester éveillé jusqu’au petites heures du matin pour entrevoir un petit bout d’aurore boréale.  Peine perdue.  La courte nuit illumine toujours un peu le ciel et impossible de voir la voûte étoilée.

On réussit par contre à entrevoir Vénus, au nord-est, telle un guide céleste nous indiquant la sortie de la rivière.  Cette rivière, telle l’inaccessible étoile de Brel, est devenue notre quête. Une étoile tellement lointaine, qu’au début, nous l’avons oublié au profit de la planification des équipiers, du budget, des menus, du transport, de l’équipement, de l’horaire.   Une quinzaine de réunions, presqu’à chaque mois.  L’abandon de 2 participants. Les commanditaires à trouver. Le site web à construire. Le prix du transport. Les 2 000 km en camionnette. La rivière elle-même, on y pensait rarement. Beaucoup de concret, peu de rêve.  Jusqu’à tout récemment.

Les défis

Pendant la descente, nous avons eu plusieurs défis à affronter :

La difficulté de rédiger le blogue sur la rivière, sous la pluie, le froid avec une équipe exténuée, après de longues heures de canots.  Le défi de la technologie, des capteurs solaires, batterie, téléphone, ordinateur, caméras, émetteur.  La peur des pannes et surtout de vider la précieuse batterie de la rare énergie que nous pouvions y tirer, surtout pendant les 14 jours consécutifs de mauvais temps. Mais pour le bénéfice de notre cause, des commanditaires, des abonnés, de nos amis, familles et collègues, nous trouvions toujours, au fond de nous-mêmes, le courage d’écrire.

Le défi de vivre en promiscuité.  Probablement l’exercice le plus exigeant.  Marcher sur son caractère, endurer ce qui nous tape sur les nerfs.  Prendre une marche plutôt que de ronchonner.  Négocier tout le temps, pour tout et pour rien.  Pour moi, avec un tempérament fort et souvent intransigeant, c’est une thérapie qui m’a fait grandir, une introspection d’humilié.

Le défi de la bouffe.  Sur papier ça allait : Pâtes, riz, semoule, pâtes, riz…  Mais en réalité, après 3 semaines, c’est un peu beaucoup répétitif.  Nous avions tout de même le poisson comme récompense. Mais le plus difficile est sans doute les crèmes collés, les sauces caramélisés et les pâtes trop cuites de type « polyfila ». C’est un défi de taille que de cuisiner, accroupi devant un feu de bois, pendant que des insectes vous grignotent, en fouettant une crème de champignon pendant 10 minutes. Mais les gars ne se plaignaient jamais, mangeaient de bon cœur en ajoutant un petit commentaire positif au chef : « Très bonne, ta crème caramel au champignon… »

Le défi de l’hygiène sommaire. L’eau sur la rivière est à 4 degrés et encore plus froide dans la baie d’Ungava. Hors de question de se tremper le gros orteil dans cette eau limpide.  Sauf si vous avez été insensibilisé à la naissance, comme Mathieu. Mais l’entretien de la machine se fait généralement au Purell (savon à l’alcool sans eau) ou aux serviettes jetables de type « wet-ones ».  Superficiel, direz-vous, mais tout de même relativement efficace. Et ne me dites pas que le savon attire les mouches.  Ici tout attire les mouches. Même au point de congélation, sous un grand vent, elles vous suivent jusque dans des endroits personnels où peu de gens ont mis le pied… Les gens de Muskol nous ont gracieusement offert des bouteilles de DEET pour contrer les attaques de nos amis piqueurs. Nous en aspergions généreusement nos vêtements et chapeaux, ce qui nous donnaient un répit de plusieurs heures.  Un petit mot concernant le petit coin: sur la toundra, il n’y a pas d’arbre que des rochers.  Alors on réserve son rocher d’avance, annonce son départ et enterre le tout avec sa pagaie.  Cette année, nous avons développé un prototype de tente-toilette, avec filet anti-mouche intégral et siège portatif.  Fort efficace mais long à installer pour les impatients.

Les moments forts

La chute de la rivière Rupert. L’arrivée au Lac Minto par hydravions. Les couchers de soleil. Les premiers rapides. Se glisser dans son sac de couchage, sous des trombes de pluie. Le café chaud.  Les truites fraîches à chaque repas. Les phoques. Les marées. La cabane dans la Baie aux feuilles. L’arrivée à Tasiujaq. Les inuits qui nous accueillent au port. La douche. Le cognac. Parler à mon amour, malgré le grésillement de la ligne téléphonique.

Tasiujaq

La vie au village de Tasiujaq est paisible.  Les activités commerciales se limitent au déplacement des pick-up d’ouvriers de la construction qui agrandissent la Coop, rénovent des maisons pour des professeurs ou travaillent sur des nouveaux réservoirs à l’aéroport.  Les jeunes inuits, qui sont partout, roulent en VTT, à quatre par moto, et courent avec les chiens, jusqu’à tard dans la nuit.  Malgré une grande école secondaire moderne avec gymnase (en rénovation), une aréna impressionnante (en rénovation) et plusieurs parcs, les jeunes semblent désoeuvrés, tourmentés par l’ennui et les mouches.

Tasiujaq compte une trentaine de maison. On peut apercevoir des cabanes datant de la création du village dans les années 60 : bureau de poste, magasin général, cabanes de pêcheurs. D’autres maisons, ressemblant à des roulottes modifiées, datent probablement du début des années 80. Et finalement dans les rues plus éloignées de la baie, il y a les duplex construits ces dernières années avec une porte à plusieurs mètres du sol, probablement pour faciliter l’accès pendant l’hiver.  J’ai remarqué que les maisons plus récentes ne sont plus déposées sur des supports de levage, directement sur le sol ; dû à l’augmentation de la température, le pergélisol fond lentement obligeant maintenant les constructeurs à planter des pieux plus profondément dans le sol.

Une autre curiosité du village est sans doute  le nombre étonnant de pick-up. En fait nous n’avons vu aucune automobile, que des camionnettes.  Sans plaque minéralogique.  Souvent accidentés.  Malgré un village avec moins d’un kilomètre de rue au total, personne ne marche.  On prend le pick-up pour aller à la coop, à l’hôtel de ville, au bureau de poste.  Et comme nous, au sud, plusieurs auraient pourtant besoin d’un peu d’exercice.

Nos étoiles

Nous avons fait la promotion de nos commanditaires pendant toutes ces chroniques et vous comprenez tous que sans eux, il n’y aurait pas eu d’expédition.  En tout cas, pas celle-ci. Le commanditaire qui rapportera nos 715 livres de matériels de Tasiujaq, ce sont les gens de Transport Desgagnés Transarctik, qui sillonnent par navire de marchandises les 14 communautés du Nunavik.  Le transbordement se fera grâce à notre ange gardien, Marie-Ève, et nous retrouverons nos canots et nos 18 barils au début de décembre prochain.

Un dernier commanditaire qui nous obligeait à viser vers une étoile lointaine, était NJ Albert, notre fournisseur Xplornet qui nous a prêté un émetteur satellite internet transportable.  Comme spécifié dans une autre chronique, les nombreuses montagnes de la rivière cachaient l’accès au satellite, qui à cette hauteur, est situé très près de l’horizon. Mais malgré tout nous avons pu vous envoyer des photos et vidéos, et parler aux journalistes grâce à cet appareil de pointe.

Nos petites comètes

Les familles et les enfants des Répits de Gaby ont été notre motivation pendant toute la planification et le déroulement de cette aventure.  Leurs étoiles aussi scintillent dans le firmament mais de façon fort différent des autres.  Il faut investir plus d’énergie pour qu’ils puissent briller, et c’est grâce à vous qu’ils continueront de nous illuminer.

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B. Léger 31 Juil 2009 à 07:31

Merci Benoit pour ce résumé complet de votre aventure.
Pourquoi tant de pickups ? Comment font-ils pour se les payer ?
Les véhicules arrivent par bateau, mais à quel prix ?
Le volet «économie» de ce village m’intrigue beaucoup….

Patrick 31 Juil 2009 à 12:12

Félicitations pour cette épopée! C’était un plaisir de vous lire, dommage pour nous, lecteurs, que ça s’arrête :-)

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