Rivière aux feuilles 2009

« Atchoum-nez »

27 Juil 2009

Par Mathieu Robert Sauvé – 27 juillet 23h10

Quand un groupe de six personnes arrive dans une ville isolée de 250 âmes, faisant aussitôt grimper le taux de population de plus de 2%, on devient vite l’attraction du coin. Aussitôt installé, hier, j’avais autour de moi neuf enfants Inuit qui m’interrogeaient dans un anglais approximatif. Ils voulaient savoir si j’avais du poil sous les bras, si j’avais un pénis même si je suis un Blanc, et plusieurs touchaient ma barbe, fascinés (les autochtones sont généralement imberbes). J’ai appris mon premier mot en inuktitut, leur langue maternelle : « Atchoum-Nez ». Ça veut dire « Bonjour! ».

Les enfants sont souriants et enjoués. Mais à les voir errer du matin au soir parmi les chiens en liberté, on comprend ce que signifie pour eux l’arrivée de barbus dans des embarcations bizarres qu’ils ne peuvent nommer (il n’y a que des kayaks ici). En tout cas, un de mes souliers de course a disparu, me privant de mon jogging matinal. J’ignore si l’auteur du larcin avait deux ou quatre pattes, mais quand Jean-Pierre a offert un dollar au garçon qui retrouverait l’espadrille, celle-ci est revenue en deux minutes. Quand on lui a donné sa pièce, ses douze amis ont fait irruption dans notre cuisine. Grande animation spontanée qu’il a fallu gérer poliment mais fermement.

Le choc culturel n’était pas que du côté des indigènes. Nous avons l’impression de pénétrer dans un univers parallèle. Il est vrai que Tasiujaq est un village coupé du reste du monde. On n’y pénètre que par les airs, en bateau par la baie d’Ungava ou, une ou deux fois par an, en canot par la Rivière aux feuilles. Comme les 14 autres villages inuit du Nunavik, Tasiujaq est une agglomération artificielle, créée pour sédentariser les Autochtones dans les années 1960. C’est le gouvernement canadien qui a eu l’idée de regrouper des familles d’Inuits afin d’assurer sa souveraineté territoriale. Comme me le fait remarquer Étienne, les gens de plus de 50 ans, ici, sont nés dans des iglous ou dans la brousse. « Plus personne ne vit dans des tentes; nous habitons tous des maisons », me dit la jeune femme au volant de la camionnette qui nous ramène en ville. Les rues sont pavés et on trouve ici une aréna, un magasin général (la Coop) et… un hôtel, généralement désert, à 300$ la nuit.

Nous avons la chance d’habiter une maison typique que nous a prêtée Marie-Ève Roy, enseignante à la Commission scolaire Kativik, qui est actuellement à Québec pour ses vacances estivales. Difficile d’exprimer notre gratitude à son endroit, d’autant plus que c’est Mme Roy elle-même qui nous a contacté pour nous offrir le gîte. Aujourd’hui, nous avons profité de son appartement pour mettre de l’ordre dans notre équipement. Elle entreposera une partie de celui-ci pour le conduire au navire, l’automne prochain. Sa maison est une habitation rectangulaire très confortable d’environ 8 mètres par 14. Elle est déposée sur pilotis directement sur le sol, gelé en permanence. Comme il n’y a aucun aqueduc, l’eau que nous consommons est livrée par camion, et les eaux usées sont transportées par le même moyen. Le système de chauffage est électrique, et l’électricité est assurée par une station thermique située tout près d’ici. Nous avons des voisins à l’étage. Il y a peu de fenêtres, par souci d’économie d’énergie. On enregistre souvent des températures de -50 degrés durant les longues nuits d’hiver.

Les enfants m’avaient indiqué un endroit ou je pourrais trouver un inuksuk, au sommet d’une montagne. Et Lazarius, un des premiers inuit que nous avons rencontré, nous a mis sur la piste d’un troupeau de bœufs musqués. Avec ces indices, j’ai franchi deux montagnes et découvert les grands ongulés qui paissaient tranquillement dans une prairie. Je me suis approché d’assez près pour les prendre en photos. Je vous invite à y jeter un coup d’œil. Notre blogue peut enfin être alimenté en images, comme vous pouvez le constater. Quelques-unes vous sont livrées aujourd’hui et d’autres suivront.

Un mot pour mes enfants. Léonard et Edmond, je m’ennuie et j’ai bien hâte de vous revoir. Encore deux dodos et je vous tiendrai dans mes bras. À tous les autres, merci de votre soutien. Vos nombreux commentaires nous ont fait chaud au cœur.

* En fait « Au revoir » se dit « Atsunai » et « Bonjour » se prononce « Ai »

Voici un petit diaporama de 13 de nos plus belles photos.

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Par Benoit Laporte – 26 juillet – 21 h 10

Hier, nous avons élu domicile dans une cabane bancale appartenant à la pourvoirie de l’estuaire de la rivière aux Feuilles (Leaf River Estuary Lodge). Les trois autres bâtiments ont récemment été saccagés par un ours qui, de toute évidence, détruisait pour le plaisir et non simplement pour se nourrir. Réfrigérateur balancé sur le dos et l’intérieur éventré par la bête, lit de mousse vidé où l’on devine la forme des griffes et l’empattement du plantigrade. Malgré un chien husky errant autour de la pourvoirie, friand de nos restes de nouilles et de riz, nous avons quand même chargé l’arme fatale et poussé le congélateur sur la porte.

Ce matin, nous avons tous assisté, silencieux, à une messe unique. La marée basse de la baie aux Feuilles d’où, en quelques heures, une profondeur de cinquante pieds d’eau s’est retirée, rendant littéralement visible le fond de ce bras de mer.

Partis en fin de matinée à la marée montante, nous avons passé sans problème le dernier obstacle, un mur impressionnant de rochers « Reversible Waterfall », qui nous séparait officiellement de la baie d’Ungava. Chanceux. Aucun vent. Un soleil étincelant nous réchauffait. Mathieu n’a pu se retenir et il nous a fait un saut de l’ange de la pointe de son canot, pour souligner son baptême dans cette grande mer nordique. Était frette, y parait. Arrivés en fin d’après-midi au port de mer de marée basse, situé à 5 km du village, nous avons été accueillis par plusieurs Inuits qui étaient au courant de notre arrivée. Lazarussie, un employé de la commission scolaire Kativik, a rassemblé plusieurs camionnettes pour nous conduire à l’appartement de Marie-Ève et François, deux professeurs qui nous ont gentiment offert le gîte durant notre séjour à Tasiujaq, pendant leurs vacances d’été dans le sud, à Québec.

Notre petit village compte officiellement 250 habitants, réduits de moitié pendant l’été ou la chasse. Demain nous tenterons de trouver un troupeau de bœufs musqués derrière une montagne, non loin du village.

Technologie du Grand Nord

Nous sommes équipés d’un émetteur satellite puissant fourni par NJ Albert, utilisant la technologie Xplornet, mais du fait de l’orientation de la rivière nord-est, les montagnes bloquent l’accès au satellite presque en tout temps. Après plusieurs tentatives infructueuses, nous nous rabattons sur l’envoi des textes par téléphone satellitaire. Maintenant que nous sommes au village de Tasiujaq, lundi et mardi nous tenterons à nouveau d’illustrer le blogue de photos.

Pour nous assurer une bonne mise à jour des textes, nous comptons sur l’équipe de 90 degrés qui nous donne un coup de main pour la diffusion de nos chroniques. Nous aimerions aussi souligner la contribution de CBCI qui nous a gratuitement fourni des minutes de téléphone satellitaire afin que nous puissions rester en contact avec nos familles, diffuser nos textes et nous sentir en sécurité. Finalement, VIA Rail Canada, mon employeur, qui nous a offert l’accès à un téléphone satellitaire et un ordinateur portatif compact.

Rivière de rêve

Ce séjour de trois semaines sur cette rivière inatteignable m’a fait deviner ce qu’était le nouveau monde avant l’arrivée des premiers Européens : aucune trace de l’homme, de feu de camp, de déchet ou de construction. Pas de couleurs sur les rochers (les amateurs d’eaux vives savent que les rochers des rapides sont souvent parsemés de traces de peinture de canot). Ce paradis pour pêcheurs, où en remontant un petit ruisseau, tu lances ta ligne dans un bassin pour y sortir un monstre de plusieurs livres. Je m’arrête avant de tomber dans le mélodramatique. Pour prendre enfin une douche chaude, la première en 3 semaines.

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