Raymond: Lundi je me suis présenté au travail. J’ai passé la journée à lire et répondre à mes courriels. Étrange mais à la fin de la journée j’étais épuisé. Pourtant au cours des dernières semaines mes activités étaient physiquement beaucoup plus exigeantes. Moi aussi j’ai le « river blues ». Je réalise que durant l’expédition, nous étions dans une bulle comme un enfant à naître dans le ventre de sa mère. Aussi confortable que cette situation puisse être, toute bonne chose à une fin; mais pas tout de suite. Tel un long cordon ombilical qu’il nous a fallu couper une fois arrivés à terme, la rivière nous a nourrit d’images et d’expériences inoubliables. J’aimerais bien pour une seule journée encore me retrouver avec mes collègues sur cette rivière. Mais quelle portion de la George choisir. Elles sont toutes belles. Dilemme ! J’ai envie de faire durer le plaisir en repassant des images et des souvenirs dans ma tête.
J’ai en image Pierre-Marc assis dans le canot, alors que nous sommes réunis en trimaran pour mieux avancer et qui nous regarde avec un sourire béat, le poing fermé et le pouce en l’air. Il semblait nous dire que tout allait bien mais on savait aussi qu’il interprétait un personnage issu de son imaginaire. Il blaguait, le coeur léger comme son répertoire de chansons.
J’ai en image Benoit, ou plutôt son dos, large comme le canot puisqu’il était mon partenaire à l’avant de l’embarcation. La tête penchée, il bat la mesure de ses coups de pagaie constants et réguliers comme un métronome. Il ne trichait pas Benoit. Même s’il avait voulu, il n’aurait pu; je l’aurais su immédiatement. De toute façon il était là pour avancer. Réunis en trimaran, il lui est arrivé de dire en constatant que nous ralentissions « il y en a qui ne font que tremper leur pagaye dans l’eau. Allez les gars on lâche pas ». Et ses mots d’esprits (et ses conneries parfois) dès le réveil avant même d’être debout alors que ses collègues sortaient du coma lentement. Si cette aventure a vu le jour, c’est grâce à lui et à sa persévérance. Merci d’avoir pensé à moi comme partenaire de cette expédition.
J’ai en image Gérald attentif au besoin des autres, toujours prêt à aider. Il a assumé plus que sa part des tâches domestiques pour le mieux être de tous. Patient, une armée entière n’aurait pu le faire sortir de ses gonds. Une seule fois j’ai cru un instant qu’il perdait patience. Mais il blaguait, Gérald.
J’ai en image Étienne en solo dans son canot, en solo lors de randonnée ou à la pêche ou encore lorsque venait le temps d’établir le camp un peu en retrait de peur de déranger ses collègues au sommeil léger. Il avait besoin de s’aérer l’esprit et cette rivière lui offrait un cadre merveilleux pour le faire. Par ailleurs, il était complètement avec nous chaque fois que la situation le commandait. En raison de sa vaste expérience, il a été celui que l’on a envoyé en éclaireur nous lire les rapides et nous indiquer les voies à suivre pour nous assurer d’un passage sans écueil. Même si son couscous aux tomates séchées n’a pas fait l’unanimité (moi j’ai aimé), chaque fois qu’il était de fonction pour faire la cuisine, il apportait une touche personnelle et mettait un peu d’exotisme dans nos repas. Épices d’Orient, condiments d’Asie, même le poisson était matière à expérimentation culinaire pour le plaisir de nos papilles gustatives.
Il est trois heures du matin. Quel temps fait-il à Kangiqsualujjuaq ? La réalité me rattrape. Je travaille aujourd’hui.
{ 0 comments }