
Benoît : Aujourd’hui c’était jour de vacances, dans nos vacances. Pas d’heure de levée prédéterminée, pas de navigation, pas de stress. Après un déjeuner au muffin au chocolat à la Gérald, nous nous sommes divisés en deux groupes. Un groupe s’est dirigé vers le sommet de la montagne au nord de la petite pointe de la rivière Natikamaukau et l’autre vers les flots émeraude de cette rivière, histoire de ramener un souper de poissons. Pendant l’excursion, un rideau noir de pluie apparut sur le haut des montagnes de l’autre côté du lac. Nous étions déjà trop loin pour revenir au campement lorsqu’un vent, qu’on évalue à environ 80 km/h, se leva. Sur le bord du lac les vagues d’un mètre se brisaient sur la grève. Lorsque l’orage se calma, j’entrepris de marcher jusqu’au campement pour constater les dégâts. Et dégâts il y avait ! Les trois tentes Mountain Hardwear, réputées pour leur résistance au grand vent, avaient tenu le coup. Par contre la tente de Gérald et Pierre-Marc, moins bien ancrée que les deux autres, avait roulé sur plusieurs dizaines de mètres, pour se réfugier à l’abri dans la forêt, sans aucun dommage. Il y avait cependant blessures du côté de notre amie la tente moustiquaire. Celle-ci s’est repliée sur elle-même, sans quitter ses ancrages. Quelques poteaux ont plié, mais avec la magie du fameux Duck Tape nous arrivons à réparer les bris, tant bien que mal.

En jetant un coup d’œil à l’horizon nous apercevons ce que nous pensons être nos premiers caribous. Avec une lunette d’approche nous constatons que c’est une armada de 7 canots dont un est équipé d’une voile. Il s’agit de 2 groupes distincts de 6 et 1 canots. Le premier groupe du Maine, composé de 3 adultes et 9 adolescents, est à sa 12e journées de descente, depuis la rivière De Pas. Ils font partie d’un centre pour jeunes The Chewonki Foundation. Peter Ingram et Alana Beard supervisent cette descente d’un mois. Demain un avion viendra leur larguer des provisions pour les 18 jours à venir. L’autre canot, avec une voile de fortune, abrite Stéphane Genest et Yves Martin (pas la marque de sous-vêtement, nous fait-il remarquer). Ces derniers ont eu maille à partir avec un ours, un peu plus haut sur la rivière. À leur retour de la pêche, ils ont constaté que leur tente avait été déchirée par leur visiteur inopiné. La magie du gros ruban gris, si chère aux canot-campeurs, opéra de nouveau…
Benoît : La plage où nous avons couché hier soir était littéralement infestée d’insectes piqueurs. Plus précisément de ces mouches avec un corps d’abeille que plusieurs reconnaîtront à leur opiniâtreté à nous survoler malgré le vent et les coups qu’on leur porte. Mais nous avions omis de vous parler d’une arme déterminante pour combattre cet ennemi particulièrement envahissant sur la George. Notre tente moustiquaire, élément on ne peut plus essentiel. En fait, on lui porte une dévotion sans borne. Elle nous permet de manger en paix, de fouiller dans nos bagages sans devenir fou, d’écrire ces lignes tranquillement en sirotant un scotch et de discuter avec nos compagnons sans constamment s’auto-frapper. Elle nous offre un répit un peu à la manière des « Répits de Gaby » pour ces enfants autistes qui nous inspirent dans cette escapade.
Grâce à notre technologie portative et imperméable, nous pouvons chaque soir aller chercher sur le Web la météo des 2 points les plus près du lieu de l’expédition, soit Schefferville et Kangiqsualujjuaq. Malgré notre éloignement de 350 km de ces 2 points, nous arrivons assez bien à prévoir la météo du lendemain. Hier on annonçait des vents de 30 km/h sud-est. Nous nous frottions les mains en prévision d’une journée avec vent dans le dos, notre trimaran et sa voile de 6 x 8. Déception : le vent ne s’est pas levé ou à peine. Nous avons pagayé quand même nos 18 km prévus en moins de 4 h 30. Notre site à Wedge Point est paradisiaque. Une plage de sable de 100 m de large et de 1 km de long. Aussitôt campés, le vent se lève, comme pour nous narguer. Détail intrigant sur notre site : des débris de crash aérien jonchent le sol (moteur, carlingue et cabine); un Cessna qui s’est sans doute abîmé dans la baie il y a plusieurs années. Cette rivière n’est assurément pas de tout repos.
Raymond : Ces 18 kilomètres, il nous a fallu les pagayer. Est-ce les crêpes au sucre à la crème, préparées par Anne, la conjointe de Benoît, qui nous donna l’énergie de nous rendre à destination ? En tout cas elles étaient délicieuses. Comme nos canots sont regroupés, nous avons l’occasion de jaser ensemble de tout et de rien. Après la pause dîner, sans que personne ne se concerte, nous nous sommes mis à pagayer en silence, concentrés sur la mécanique du mouvement nous permettant d’avancer, la pagaie devenant une extension de la main. On réussit à faire le vide autour de soi et on a l’impression que l’on pourrait tenir des heures. Ceux qui font du jogging savent de quoi je parle. Le lac de la Hutte sauvage est un élargissement de la rivière George d’une centaine de kilomètres. Cet après-midi, comme il n’y avait pas de vent, nous avons pu voir les poissons venir se nourrir d’insectes à la surface de l’eau. Nous apercevions la nageoire dorsale fendre l’eau avant de disparaître aussitôt. Arrivés à 16 h 30, nous avons pris le temps de nous baigner, ce que nous ne pourrons certainement pas faire dans 2 semaines. Demain, notre premier jour de pause, où nous planifions marcher sur la montagne qui surplombe le campement. Ce devrait être assez facile puisque celle-ci ne comporte aucune végétation, si ce n’est les aulnes sur la rive.