Rivière George 2005


Benoît : Enfin, c’est fait ! Nous avons finalement goûté aux fameux rapides de la rivière George. Après un an de préparation, de réunions, de planification, de lecture de récits, de grilles d’équipement, de menus, de courriels, de budget… nous avons dévalé ces légendaires rapides du Nouveau-Québec. Nous avions planifié une journée de repos aujourd’hui, mais le site où nous avons campé hier était loin d’être à la hauteur. Nous aurions préféré descendre les 5 derniers kilomètres, essentiellement des rapides de niveau 2 et 3, pour coucher dans un des nombreux bâtiments que possède Norpaq sur la George. On nous avait même mentionné que quelqu’un y serait et nous accueillerait. Mais ce n’était pas prudent. Nous avions pagayé nos 18 kilomètres prévus face à un vent franc nord. Il était tard, nous étions vannés et il était mieux d’attendre au lendemain. Malgré le niveau d’eau plutôt bas cette année, les vagues étaient effectivement impressionnantes. Tout autant que les paysages. Tellement que nous avons peu de temps pour les admirer. Spécialement une paroi rocheuse longue de 5 km, parsemée de neige, illuminée par un soleil qui perce des nuages gonflés de pluie. Ici le ciel nous semble plus large et plus haut que chez nous. Il semble s’éterniser. Arrêt vers 17 h 30 à un site entouré de montagnes dégarnies. Une jeune caribou solitaire nous regarde de la rive et s’avance pour satisfaire sa curiosité. Étienne s’arrête sur la rive pour l’approcher. Quand ce canoteur baraqué se lève, elle prend peur et quitte sans demander son reste. Une biche qu’il n’aura pas su séduire… Ayant manqué le trek en montagne de la dernière journée de pause, je me promets demain de faire le sommet qui surplombe cette vallée glaciaire. Ayant peu d’expérience dans ce type de randonnée, Raymond est partant pour m’accompagner.

Un soir sur la rivière George

Raymond : Journée fertile en émotions mais qui ne sera sûrement pas la dernière. J’avais un peu le trac à l’idée d’affronter les premiers rapides. Comment réagirait le canot avec tout son matériel à bord et comment moi, je réagirais devant ces rapides à fort débit. Il y avait une part d’inconnu, et c’est ce qui rend l’aventure si intéressante. J’oserais une analogie : la descente d’une rivière est comparable à une représentation théâtrale. La pièce débute lorsque nous mettons les canots à l’eau. Pendant que nous traversons les sections calmes de la rivière, je suis comme l’acteur en coulisse. À l’approche des rapides, j’entre en scène. Au moment d’attaquer les rapides, je donne la réplique à mon coéquipier. L’adrénaline et la concentration sont à leur comble. Même si je ne le vois pas de face, il me faut être attentif à ses moindres réactions. Être à l’écoute de ses instructions puisqu’il est celui qui aperçoit les obstacles en premier. Les yeux fixés sur la rivière, nous ne nous rendons pas compte de la vitesse à laquelle nous la dévalons. Nous n’avons pas de point de repère, sinon lorsque nous apercevons le fond de la rivière, qui est d’une grande limpidité, ou encore pendant un bref instant où nous jetons un regard sur la rive. Il est 22 h 30. Mes collègues jouent au poker et moi je vous laisse. Mes samedis soirs ont déjà pris fin plus tard… Mais demain, journée de repos. Questions ? Notre expédition ou nos textes suscitent des questions ou commentaires ? Posez-les nous, en moins de 50 mots si possible (technologie oblige) à l’adresse de courriel pagayerpourlautisme@vdl2.ca. Nous essayerons de répondre à une question par jour.

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105 kilomètres de lac

22 Juil 2005


Étienne : 105 kilomètres de lac. En canot. En une semaine. Le premier rapide commence à quelques minutes de distance. Nous le ferons demain matin. 105 kilomètres de lac avant les rapides, c’est comme dire à un grimpeur, un passionné d’escalade, qu’il part de Montréal pour aller grimper à Val-David dans les Laurentides. Mais qu’il doit y aller à pied. Nous, c’est en canot. Mais là, nous sommes enfin rendus. La vraie rivière commence demain matin. Gérald, en fin d’après-midi, a posé LA question : il y a une semaine, l’hydravion nous a laissés à la tête du lac, pourquoi nous n’avons pas demandé au pilote de nous déposer à la fin du lac ? Pourquoi ? Parce qu’on est une belle gang de freaks, comme me le faisait gentiment remarquer une collègue avant mon départ. Elle ne comprenait pas pourquoi prendre ses vacances d’été quelques part où il fait 12 degrés (comme aujourd’hui) et où une centaine de mouches noires se collent au moustiquaire de la tente pour attendre que la viande fraîche sorte (comme je devrai le faire dans quelques minutes). Ça ne règle pas la question : pourquoi ne pas s’être fait déposer à la fin du lac de 105 kilomètres plutôt qu’au début ? Peut-être pour que les milliers de coup de pagaie répétés comme un mantra me permettent d’entrer dans ma bulle, de prendre des heures pour faire défiler les pensées et les souvenirs. Hier soir, l’humidité froide m’a rappelé un voyage de ski de fond en Gaspésie. J’ai donc pensé à Nathalie, qui aujourd’hui a un bébé. J’ai pensé à Sabine et Jean, qui eux aussi ont un bébé. Quand mes partenaires de canot se sont mis à chanter, j’ai pensé à Sylvie et Ida, qui elles chantent bien, j’ai aussi pensé à Isabelle et Robert, avec qui j’écoute de la musique.

Un caribou

À raison d’un mètre par coup de pagaie, ça fait 105 000 coups de pagaie. Les pensées ont tout leur temps. Dans les rapides, mes pensées auraient été occupées par les rapides. Et puis, dans les rapides, nous n’aurions pas pu passer nos journées si près les uns des autres (nous avons attaché les trois canots en trimaran), et je n’aurais pas pu profiter du délire déconnant de la gang de freaks qui m’accompagne. 105 kilomètres donnent amplement le temps de déconner. Je ne vous ferai pas part des rêves érotiques de Gérald, des jokes de communistes de Pierre-Marc, des répliques plus rares mais souvent plus salées de Raymond, et des vitesses et distances mesurées en temps réel par le GPS de Benoît. Roger (le sixième membre de notre expédition que des responsabilités ont obligé à rester au sud), tu nous manques. Et si nous n’avions pas fait ces 105 kilomètres, nous n’aurions pas vu la centaine de caribous qui ont traversé le lac juste devant nous cet après-midi.

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