Rivière aux feuilles 2009

Liberté!

23 Juil 2009

Par Mathieu Robert Sauvé – 23 juillet, 21 h 30

Pagayer comme nous le faisons depuis deux semaines, cela permet l’introspection. Pour moi, c’est presque méditatif. L’aviron est un prolongement de nos bras et l’esprit dérive. Aujourd’hui, par exemple, nous avons franchi 34 kilomètres. À 400 coups d’aviron par kilomètre, nous avons poussé 13 500 fois dans l’eau. Bien sûr, nous scrutons l’horizon et les berges à la recherche d’un signe de vie, d’un nouveau relief, d’une roche qui bouge. Nous voyons bien quelques canards, des mouettes, hier la tête d’un phoque, mais aucun troupeau de bœufs musqués ou harde de caribous. Les roches sont immobiles et silencieuses.

Comme elles, nous pénétrons dans nos pensées. Il y a nos vieux démons qui refont surface, nos petites angoisses, et des cauchemars plus récents qui reviennent nous habiter. On passe le film dans sa tête en se demandant ce qu’on aurait pu faire pour que notre vie soit différente. Il y a aussi des souvenirs doux. Je revois le visage de mon petit bébé qui joue avec ses autos et qui clapote dans son bain, de mes deux grands fils. Léonard doit préparer son match de baseball ou lire un roman de science-fiction, et Edmond doit s’entraîner pour le soccer ou échanger des cartes Magic. Des gars éveillés et pleins de vie que j’adore, avec qui j’aimerais bien venir ici, un jour. Je revois le sourire de Caroline qui m’attend. J’ai crié son nom ce matin et la montagne me l’a rendu en écho. Les gars ont ri de moi… de bon cœur.

Si je devais résumer ce voyage en un mot, je dirais : liberté. Celle de partir, d’abord, si loin et si longtemps. La liberté enivrante de mettre le pied dans une région qu’on ne connaît pas. La liberté de courir nu sur la plage, avant de se lancer dans l’eau glacée et de sentir son corps se détendre au soleil. C’est un pays de liberté, aussi, parce que tout ici est gigantesque. En 15 jours, pas un seul humain n’a croisé notre route. Trois ou quatre cabanes, tout au plus, inhabitées. Avec Étienne, j’ai marché dans les montagnes qui bordent la rivière. Trois randonnées mémorables où nous avons vu des canyons profonds, des vallées de rocs et de sable, où la neige ne fond presque jamais. Nous étions les premiers humains à fouler ces reliefs depuis des années, des siècles peut-être. Ces espaces sont vertigineux. Comme la vie.

Nous sommes arrivés à Goodbye Rapids, l’endroit où la rivière commence à s’unir à la mer. C’est déjà la fin de l’eau douce. Mais il nous reste deux importants défis à relever avant de penser au retour.

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Par Benoit Laporte – 22 juillet, 18 h

Après une journée de pluie ininterrompue avant-hier, les dieux de la rivière nous offraient généreusement, hier, une autre journée froide, couverte et venteuse. En fait, c’était la 14e journée sans soleil, où les nuages bas et menaçants jouent au chat et à la souris avec l’astre chaud. Il est évident que pour notre groupe, ce n’est pas une surprise; c’est exactement ce que l’agent de voyages nous avait promis lors de la réservation. Air climatisé permanent dans chaque chambre, avait-il gentiment ajouté. Mais quand même, une toute « tite » journée de beau temps, combien ça coûte? Pour réchauffer nos cœurs, nous avons eu droit à nos premiers phoques, qui jouaient près des canots. Il paraît qu’ils peuvent remonter jusqu’à 100 km en amont de la rivière.

Eh bien, nous sommes enfin exaucés ce matin. Journée de repos ensoleillée, à 60 km de notre objectif, avec un camping au pied de l’idyllique rivière Papijjusaq, que nous avons gentiment rebaptisée « Papy joue du sax ». Marche en montagne, accompagnée des mouches et de plusieurs pistes fraîches d’ours et de loups. Nous marchons avec notre poivre de cayenne et nos « bear bangs », prêts à dégainer. Surtout que notre sac à dos est rempli de belles truites cueillies au pied d’une chute digne du « Lagon bleu ».

Hier, c’était l’anniversaire de mon fils Antoine, 20 ans, frère aîné de Gabrielle, ma fille autiste. Après lui avoir souhaité un joyeux anniversaire au téléphone satellitaire, j’ai eu un coup de cafard. J’entendais Gabrielle en arrière-plan parler à son frère, avec un peu de bruit de fond. Cette petite fille, malgré son lourd handicap, nous a fait déplacer des montagnes. Anne et moi, à l’exemple de centaines de parents des Répits de Gaby, ne voulons que le bonheur de notre enfant, même si la tâche est lourde et épuisante.

J’ai eu l’idée de cette deuxième expédition d’envergure afin de faire connaître cet organisme qui permet à beaucoup d’enfants autistes, et à leurs familles, de sortir de l’isolement. Quand j’ai compris en rédigeant le site Web que de 2005 à 2009, les Répits de Gaby était passé de 33 familles bénéficiaires à plus de 85, j’ai réalisé à quel point quelques articles de journaux, des entrevues et plus de 500 personnes abonnées à un blogue d’une expédition de canot pouvaient faire la différence. Si cette expédition pouvait permettre à une seule famille de découvrir ce service « libérateur », notre objectif serait atteint. Tout comme le nôtre dans quelques jours, sur la mythique et imprévisible baie d’Ungava…

C’est souvent dans l’épreuve que nous découvrons nos forces, qui nous permettent d’accomplir de grands défis.

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