Rivière George 2005

Le “River Blues”

6 Août 2005

Benoît : Le retour de Kangiqsualujjuaq se faisait sur les ailes de Air Inuit qui dessert les communautés du Nunavik en passant par Montréal, Sept-Îles, Schefferville et ailleurs au Québec. Vendredi matin notre départ a été retardé par des vents violents. Notre pilote, une femme à la chevelure bouclée blonde, a finalement décollée notre rutilant Twin Otter avec dix-huit braves à bord. Malgré les soubresauts, elle menait son appareil de main de maître. Nous volions à très basse altitude afin d’éviter les bourrasques. Assis près de moi un jeune menuisier de Mont-Joli venait de compléter 54 jours de travail de suite à raison de 10 heures par jour. Peu de loisir si ce n’est la télé ou les jeux vidéos. Je lui demande s’il s’est fait une copine au village. Il me dit que le règlement lui interdit tout contact avec les Inuits, même de manger dans les familles. Lorsque qu’il me voit surpris, il rajoute: « la plupart des enfants métis du village sont issus de contact avec d’anciens employés de la construction de  passage ». La correspondance est assez rapide à Kuujuaq avec du personnel très accueillant. Lorsque je me rends compte que nous passerons au détecteur de métal, j’ai encore mon couteau à la ceinture. Aussitôt celui-ci remis dans mon bagage, nous repartons sur un gigantesque Dash-8 d’une trentaine de places, à destination de Schefferville. Nous avons même une agente de bord. Le vol est calme et je dors comme un bébé.

Nous séparons ici le groupe. Pierre-Marc, Raymond et Étienne retournent dans leur plumard douillet. Gérald et moi se dirigeons vers Sept-Îles sur un exigu Beechcraft de 8 places ! L’appareil est minuscule et je suis assis derrière la co-pilote. Je peux presque toucher les commandes de l’avion. Le vol est très paisible et je continue mes rêves. Pendant une autre semaine Gérald et moi continuons notre bénévolat en allant faire de la plongée sous-marine avec notre groupe scout sur la Côte-Nord. Gérald anime depuis une vingtaine d’années des jeunes garçons et filles de 15 à 17 ans. Pour ma part, je suis impliqué depuis 6 ans. Mon fils Antoine fait parti du groupe et j’ai très hâte de le revoir. Notre année a été investie à la formation pour la plongée et nous en ferons plusieurs aux îles Mingan, à Sept- Îles, Baie Comeau et aux Escoumins. Nous en profiterons pour aller visiter le barrage de la Manicouagan et marcher aux Monts Groulx. Une autre semaine reposante avant le retour au travail!

Le village deKangiqsualujjuaq

Depuis mon retour de rivière, une maladie que l’on appelle le « River Blues », a subrepticement commencée ses ravages. Je connais plusieurs adeptes de longue descente qui en sont atteints. Ce mal s’installe souvent quelques heures après le retour et dure jusqu’à une semaine. Tous vos sens sont affectés et vous réalisez que le monde qui nous entoure est bruyant, terne et matérialiste. Cette affection me rend conscient de l’existence entre autre de l’eau courante, du cabinet d’aisance, des appareils électroménagers et de la musique… banalités que j’avais prises pour acquis avant mon sevrage de 3 semaines. À votre retour la chose la plus difficile à accepter est probablement votre reflet dans une glace. Vous qui preniez un soin constant de votre image en vous assurant plusieurs fois par jour que votre personne soit la plus impeccable possible, vous vous rendez compte des cicatrices de piqûres ornant votre front semblable à de l’acné, que vous êtes bronzé style habitant (le visage et les mains couleur chocolat mais le reste du corps plus près du lait), les lèvres fendillées et une barbe remplie de poils blancs qui vous donne un coup de vieux. Après avoir si longtemps couché à la belle étoile et dans des camps de fortune, vous avez maintenant vraiment l’air d’un vagabond. La température ici est de 25 degrés et aucune mouche ne m’importune. L’eau est à 4 degrés, froide comme la George. Les jeunes sont rayonnants mais mon coeur est encore là-bas. Encore 7 jours à souffrir du blues…

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Le retour en ville

5 Août 2005

Étienne:  Pagayer pour l’autisme aura ses cinq minutes de gloire à la télévision ! Une interview sera diffusée sur les ondes de RDI le dimanche matin 7 août vers 9h35 (plus ou moins 15 minutes). Aussi, le Journal de Montréal publiera un reportage le dimanche 7 août ou le lundi 8 août. À ne pas manquer !

Nous avons passé la journée de vendredi en avion. Départ vers 9h00 de notre « hôtel » de six chambres, décollage de Kangiqsualujjuaq dans la tempête. Le trajet Kangiqsualujjuaq-Kuujjuaq s’est fait dans un coucou de 16 places brassé par les vents nordiques… À Kuujjuaq, nous sommes montés à bord d’un gros avion (lire : de 24 places) en direction de Shefferville. Nous avons ensuite fait Shefferville-Québec. Puis enfin Québec-Montréal. Je suis arrivé à mon appartement vers 20h30. Journée épuisante.

Revenir chez soi après un tel voyage est toujours un peu troublant. Quelque chose cloche et ne tourne pas rond. Il y a eu une panne d’électricité en mon absence et toutes les horloges de l’appartement ont été remises à zéro. J’ai voulu prendre mes messages téléphoniques mais la batterie de mon téléphone sans fil, laissé sur la table de cuisine, était morte. Le gazon de la cour est devenu du foin. Je prendrai bientôt une douche, ça me fera un peu bizarre de me laver sans avoir le souffle coupé par l’eau froide. J’ouvre mon garde-robe pour me choisir du linge de rechange, c’est-à-dire du linge propre qui ne sent pas le gars qui sort du bois. Ma main se pose spontanément sur un chandail de laine à manches longues, chaud et confortable. Je regarde dehors dans la nuit montréalaise, c’est bel et bien l’été. Un t-shirt fera l’affaire.

Raymond, Pierre- Marc, l'émissaire, Gérald et Étienne

Dehors, il n’y a plus d’aurore boréale, de rivière, de toundra, de baril ou de canot. Il n’y a pas ces quatre gars tripants avec lesquels j’ai partagé trois semaines. Et quand tantôt je me coucherai, je n’aurai pas à placer, toujours au même endroit pour être sûr de le retrouver, mon « gun à poivre » pour faire fuir l’éventuel ours qui s’intéresserait d’un peu trop près à ma tente. Je vais dormir dans ma chambre.

Alors que j’écris ces lignes, un maringouin traverse mon champ de vision. Je suis peut-être le seul gars du Plateau qui a actuellement un maringouin dans sa cuisine. Je l’écrase par réflexe. Je rigole : il était tout seul, sans les 283 923 complices piqueurs, mordeurs et harcelleurs auxquels je suis habitué. Je l’ai écrasé, il n’y a plus de maringouin.

Ce quelque chose qui cloche et ne tourne pas rond, c’est moi. Mon esprit est encore dans le Far North, la version québécoise du Far West, même si mon corps a pris l’avion vers le Sud. Je suis complètement déphasé avec la réalité montréalaise. Ça va être dur lundi matin au bureau.. Oh que ça va être dur!

J’ai parlé à Raymond, lui aussi rentrera au bureau lundi. Lui aussi se sent déphasé. Je n’ai pas parlé à Pierre-Marc, qui sera au travail dès samedi, mais déjà à bord de l’avion je le sentais déprimé de revenir. Benoit et Gérald, les chanceux, ont encore une semaine de vacances… Ils la passeront à encadrer un groupe d’ados quelque part sur la Côte Nord. (Ils ont leur photo dans le dictionnaire à côté du mot « bénévolat ».)

Je le sais déjà, je vais retourner sur la rivière George. C’est un signe qui ne trompe pas : si je sais que je vais y retourner, c’est que c’était extraordinaire.

Et si la rivière George a été extraordinaire, c’est en partie à cause des gars. Mais quand j’y retournerai, ça sera probablement sans Gérald, Pierre-Marc, Raymond ou Benoit. Ça sera sans laptop, sans capteur solaire pour recharger les batteries, sans chronique à écrire tous les soirs, sans levée de fonds, sans interview. Je voudrai un voyage différent. Genre : en duo avec une amoureuse et beaucoup de temps devant nous. J’aurai le goût d’avoir le temps pour faire plus de randonnée. Pour pêcher plus. Pour vraiment faire de la photo. Ce coin-là du Québec est tout simplement trop superbe.

J’ai écrit « avoir le temps » dans le paragraphe précédant et je me sens privilégié. Je peux prendre des vacances en couple si je le désire (en fait, tout ce qui me manque est une blonde ;-). Pour d’autres, c’est plus compliqué. Si Benoit a pu partir, c’est uniquement parce qu’Anne Deschamps, sa femme et la mère de ses enfants, est restée à la maison pour s’occuper de Gabrielle, son adolescente autiste. (Remarquez que même sans enfant, Anne ne nous aurait jamais accompagnés : elle ne veut rien savoir des mouches, du froid et de la vie sous une tente.)

Plusieurs raisons expliquent pourquoi la relation entre Benoit et Anne fonctionne, pourquoi leur famille est une famille heureuse. Selon moi (et il s’agit d’une opinion personnelle), une de ces raisons est qu’ils ont les moyens de se payer un service de gardiennage pour Gabrielle quand ils en ont besoin. Comprenez que toutes les familles d’enfants autistes n’ont pas ce privilège, et que certaines vivent des situations dramatiques.

Je tiens à le souligner : Anne est une femme extraordinaire. Malgré toutes ses responsabilités, elle a trouvé le temps et l’énergie nécessaires pour fonder les Répits de Gaby, qui offre des services de garde spécialisés pour enfants autistes. La levée de fonds de Pagayer pour l’autisme contribuera à l’achat d’une maison où des enfants autistes passeront un week-end à l’occasion, offrant ainsi à des familles épuisées un répit salutaire.

J’ai donné environ un quart de million de coups de pagaie sur la George, et à mon retour j’ai eu droit à des félicitations. Pourtant, mon effort est insignifiant en comparaison à celui que la vie exige constamment des parents d’enfants autistes. C’est à eux que les félicitations doivent être adressées. De toute façon, moi, j’ai déjà eu mon salaire : des centaines de souvenirs fabuleux et le sentiment très agréable d’avoir fait ma part pour aider

Il n’est pas nécessaire d’aller pagayer dans le Grand Nord pour faire sa part et aider. Choisissez-vous une cause qui vous tient à coeur. Donnez un peu de votre temps si vous avez du temps disponible. Donner un peu de votre argent si vous avez de l’argent disponible. Vous pouvez d’ailleurs faire dès maintenant un don aux Répits de Gaby. Il suffit de visiter cette page : http://www.pagayerpourlautisme.com/dons.html

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