Rivière George 2005

La très grande baie

4 Août 2005

Benoît : Hier soir, pour la première fois, flottait au-dessus du groupe un nuage de mélancolie. Étais-ce le fait que nous avons été incapable de rejoindre le village inuit, notre destination, tel que planifié ou simplement parce que nous sommes aux dernières heures de l’expédition ? Sans doute un peu des deux, combinés à une fatigue certaine. Pour s’assurer du réveil efficace des troupes, Raymond parti son réchaud bruyant à 6h25 précise. La nuit avait été très froide. Nous avons bouché les trous de la cabane avec des vêtements pour conserver un peu de chaleur. Accroupis dans nos canots à 8h30, nous flottons sur une mer d’huile. Pas de vent pour la première fois en 3 semaines. Tellement calme que s’en est suspect. Nous savons que l’entrée dans l’immense baie du village inuit ne peut se faire qu’à marée haute, pour éviter de marcher pendant un kilomètre et grimper les 25 pieds de dénivellation dans la vase. La marée haute est attendue vers 11h00. Nous avons donc 2h30 pour parcourir 16 km, soit une vitesse moyenne d’un peu plus de 6 km à l’heure. Presque impossible. Notre meilleure vitesse de croisière à date était autour de 5 km. Mais sans vent ?

Raymond, Pierre-Marc, l'émissaire, Gérald, Étienne

Après avoir été salué par un pêcheur inuit, nous entrons finalement dans cette baie. À gauche se pointe la Baie d’Ungava, drapée de ses plus belles montagnes. Dieu qu’il y a des montagnes ici. Je croyais ce pays plat comme toutes les plages de mon enfance. Malgré une certaine tristesse des maisons appuyées par des blocs sur le pergélisol, ce village est le plus beau. Le plus beau depuis 22 jours. Après les photographies de groupe d’usage sur la grève, un homme à la peau de cuir et aux yeux souriants s’approche de nous. Il ne semble pas parler ni anglais, ni français. Je lui dis « Jean-Guy ? Jean-Guy St-Aubin ? ». Il me fait un signe de la tête et disparaît sur son VTT. Jean-Guy, est celui que toute expédition doit contacter à son arrivée ici. Il s’occupe de placer votre matériel sur le bateau de retour, opéré par Desgagnés Transartick. Ce bateau sillonne tous les villages du Nunavik depuis Montréal. Il est de passage 2 fois par année, en juin et en septembre. Impossible de rapporter votre matériel par avion, le coût est prohibitif. Vendre votre canot au village ne vous rapportera presque rien, question d’offre et de demande. La seule solution et la plus sûre est d’utiliser les services de Desgagnés Transartick.

enfants-inuit

Une demi-heure plus tard, après avoir vidé nos canots, la baie derrière nous est déjà couverte de boue sur 100 mètres. Un camion arrive. Ce n’est pas Jean-Guy, il est en vacance. L’autre pilier d’une fin de descente réussie nous accueille. Pierre Tourangeau, hôtelier, garagiste, restaurateur, dépanneur et guide touristique à votre service. Anciennement de ma région de Lanaudière, il est devenu chef mécanicien dans plusieurs villages du coin pour finalement s’établir ici. L’élue de son coeur est inuit, ce qui aide à s’enraciner. Il nous montre nos chambres, nous prépare un repas exquis et nous fait visiter la ville et le bord de mer. Son hôtel et restaurant « Iluiilirq » est un incontournable. Nous sommes finalement arrivés à bon port, à l’endroit que l’on appelle « La très grande baie », traduit en inuktitut par Kangiqsualujjuaq. Poste de traite de la Baie d’Hudson, connu sous le nom de « George River » il est devenu, au début des années 60 le poste administratif de la région et rebaptisé « Port Nouveau-Québec ». Suite à l’entente de la Baie James, les 14 communautés Inuits du Nunavik furent rerebaptisées de leur nom actuel. Des 760 habitants, environ 50 blancs y travaillent (professeurs, ingénieurs, infirmiers, commerçants). La moitié des habitants sont des enfants. Il y a des enfants partout. Tous très beaux. Partout on nous sourie et nous salue. Pierre nous explique que tout ici est excessivement cher et rare. On s’achète un sac de croustilles et 2 petites boissons gazeuses à l’épicerie. 14$… Il nous annonce que demain on attend des vents de 100 km à l’heure et que notre avion pourrait ne pas décoller. Pierre explique que la règle ici est: « une journée de beau temps sera suivi de 2 semaines de mauvais temps ». Et rajoute en riant « ici on sait quand on arrive mais jamais quand on repart »…

{ 2 comments }

Raymond : La fin du voyage approche. L’objectif souhaité pour la journée était de dormir à Kangiqsualujjuak. La vielle au soir alors que nous observions les aurores boréales, les cieux nous semblaient favorables pour nous y rendre. Je sens une certaine fébrilité dans le groupe alors que l’expédition tire à sa fin. Au petit matin (5h30) je suis réveillé par une lumière aveuglante. Le soleil en mode actif depuis déjà quelques heures, éclaire le « chalet » d’une lumière nordique. Un vent du sud se lève ce qui signifie moins d’effort pour arriver à bon port. Certains se mettent à rêver. Arrivons-nous à temps pour le dîner ? L’euphorie nous gagne. Nous partons alors que le courant de la marée est descendant.

Trois canots dans l'immensité de l'estuaire de la Baie d'Ungava

Nous sommes ici en présence de marées parmi les plus fortes au monde. Le vent du sud s’estompe, puis est vite remplacé par un vent du nord si intense que nous faisons presque du surplace. Nous devons nous arrêter. Notre projet est il encore réaliste ? Comme un château de carte qui s’effondre nos plans sont à revoir. Kangiqsualujjuak, se sera pour un autre soir. Oui mais notre marge de manoeuvre diminue comme peau de chagrin. Notre avion décolle vendredi matin et nous avons lu que l’on ne peut pagayer qu’à marée descendante. Combien de ces marées, le jour, d’ici vendredi ? Serons-nous obligés de pagayer la nuit dans un estuaire que nous ne connaissons pas. Nous décidons d’y aller d’objectif plus réaliste. D’abord nous rendre au prochain et dernier rapide de l’expé. Après on verra. On s’y rend et décidons de le franchir. Puis devant nous à sept kilomètres apparaît l’île Ford sur laquelle nous a t’on dit se trouve une cabane. Nous tentons l’expérience. Nous pagayons comme des galériens pour contrer l’effet de la marée qui monte alors que nous allons dans la direction opposée. Deux heures plus tard nous y voilà. Le site, constitué d’environ sept bâtiments, est délabré mais la lumière du soleil couchant nous rend l’endroit plus acceptable. La vue qu’elle nous offre sur l’estuaire est plus large que notre champ de vision. Une fois installé pour la nuit, une discussion animée s’amorce pour déterminer à qu’elle heure devrions nous partir demain matin. Nous sommes tous fatigués. Un peu plus de sommeil pour récupérer ou partir tôt demain matin pour profiter d’un hypothétique répit du vent. Finalement nous convenons de partir à 8h00. S’il le faut nous irons contre vents et marées. Nous nous endormons avec comme couverture des aurores boréales qui dansent. Ce pays est magique. Espérons que la météo le sera aussi demain matin…

{ 0 comments }