Rivière George 2005


Benoît : Tous mes collègues dorment à poings fermés au moment où j’écris ces lignes. Nous sommes dimanche soir et la journée a été assez pénible. N’allez pas croire que je me plaigne. Je savais qu’elle serait dure, cette journée. J’y pensais depuis plusieurs semaines. Malgré qu’hier nous ayons quitté le campement assez tôt (souvenez-vous de la micro-plage sur laquelle Étienne soignait son spleen), eh bien nous n’avons pas réussi à atteindre notre objectif de 40 km de rivière. Les seuls éléments météorologiques que nous n’avions pas encore rencontrés se sont manifestés. Le brouillard et la pluie. Nous avions déjà goûté à des averses passagères mais de la pluie continue, pas encore. Le problème est que tous ces éléments se sont manifestés en même temps. Le froid, le vent, la pluie et le brouillard. Il reste encore la neige, mais plus rien ne me surprend maintenant. En plus des solides rapides à traverser, nous en sommes (et je les ai comptés) au 11e jour consécutif en combinaison isothermique (wet suit). Nous avons eu le temps de laver celle-ci durant notre pause au mont Pyramide, mais reste que le wet suit, j’en ai ras-le-bol. Imaginez porter de 8 à 10 heures par jour un gant de vaisselle en néoprène duquel émergent votre tête et vos mains. Pour ne pas être en reste, vous portez des gants de néoprène et devinez quoi ? Oui, une calotte de néoprène. Pour les non-initiés, le dessous de la majorité des tapis de souris est fait de néoprène. Ça semble confortable, n’est-ce pas ? Pour ma part, je trouve ce tissu fantastique. Vous pouvez descendre une rivière à 4 degrés avec une température ambiante de 6 à 7 degrés avec vent. Elle vous évite de tomber en hypothermie, l’ennemi juré du canoteur dans le Grand Nord. Mais tout va bien tant que vous restez bien penaud dans votre canot. Ce qui ne fut pas le cas aujourd’hui.

Le décor idéal pour combattre le spleen

Je vous disais qu’hier soir nous avions planifié 40 km, mais réussi à en faire seulement 28. Le but était d’atteindre les chutes Hélène hier soir afin de profiter d’une pleine journée pour le fameux portage de 3 km. Nous avons campé sur un site médiocre où nous avons « creusé » nos sites de campement tellement le terrain était accidenté. Nous n’avions pas le choix parce que le vent nous stoppait et les vagues déferlaient dans nos canots. Nous étions tellement désespérés de camper que même la vue d’un ours se baladant à 500 mètres du site ne nous découragea pas. Couchés vers 19 h 30, nous avions planifié être debout vers 6 h. La pluie nous rendormit jusqu’à 7 h 30. Vite déjeuner et vite dans les canots pour n’affronter que des vents légers. Arrivés en haut du portage vers midi. Nous avons pu, grâce à des cordelles bien ficelées, éviter 1 500 mètres de portage. Il en restait quand même 1 500 à se farcir. Ce qui fut fait, manu militari. Un portage magnifique agrémenté d’une des plus gigantesque masse d’eau déferlante qu’il m’ait été donné de voir. Nous comprenons que celle-ci fasse tant saliver les ingénieurs d’Hydro-Québec. Elle me rappelle les chutes Chaudière de la rivière Ashuapmushuan. D’une grande beauté. Revenons à notre fameuse combinaison d’apparat. Eh bien, nous avons effectué un joyeux portage de 12 km au total avec nos canots, nos barils et notre matériel sur notre dos. Or cette petite combinaison qui vous entoure toutes les parties du corps a la fâcheuse habitude de vous « sabler » l’épiderme comme un gant de crin. Les genoux, les coudes, le dos et autres parties sensibles ont été très sollicités aujourd’hui. Après 11 heures à macérer dans nos costumes synthétiques, ce soir dans les tentes, nous nous sommes crémés à qui mieux mieux. On dirait des bébés en couche.

Demain : journée de repos si le temps nous le permet. Il nous reste 70 km à faire dans l’estuaire de la baie d’Ungava. Nous devrons maintenant négocier avec un autre défi de taille : les marées. Selon nos lectures, ce sont les deuxièmes plus hautes de ce continent, après celles de la Nouvelle-Écosse. Nous devrons quitter à la marée haute pour terminer notre journée à la marée basse. Nous devrons ensuite monter tout notre matériel 40 pieds en hauteur pour éviter que tout soit submergé. Tout ça dans la vase argileuse de l’estuaire. Beaucoup de plaisir en perspective… Raymond ronfle à quelques pouces de moi. Je vais me coucher parce que demain nous avons une entrevue sur les ondes du FM 103,5 à l’heure du midi. Il ne faut pas que j’ai l’air irrité…

Questions : Nous avons reçu une question de Fred Dufault à propos du comportement de la rivière et des rapides. On nous a dit que la rivière est actuellement à un niveau assez bas. Et nous le croyons parce que la majorité des rapides que nous avons descendus sont surévalués par rapport à la carte guide. Par contre, les derniers jours de pluie ont permis à la rivière de refaire le plein et les derniers rapides nous semblaient beaucoup plus près de la cote de la carte. En général, ce sont des rapides à volume. Des vagues et des immenses vagues. Si le rapide comporte de trop grosses vagues, on arrive toujours à s’en sortir en empruntant les bords. L’eau est d’une limpidité qui me rappelle les rivières de la Gaspésie (la Bonaventure entre autres). Il est hors de question de chavirer dans cette rivière. Le courant est tellement rapide que vous n’arriveriez pas à rattraper votre matériel. Une prudence extrême est de mise en tout temps.

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Pourquoi?

30 Juil 2005


Benoît : En dévalant les rapides et en traversant d’immenses lacs que l’on peut comparer à ceux que l’on retrouve sur le fleuve Saint-Laurent, nous avons beaucoup de temps pour réfléchir. Même si pendant 6 à 7 heures par jour votre partenaire de canot se situe à moins de 6 pieds de vous, vous n’êtes pas constamment à lui parler. Vous ressassez plein de choses dans votre tête. Vous pensez souvent aux êtres aimés qui vous manquent beaucoup. C’est à ce moment que les personnes que vous teniez pour acquises ne nourrissent plus votre âme. Vous êtes en sevrage. Je me suis rappelé ce qui avait été l’élément déclencheur de cette expédition. Après réflexion, 3 événements avaient été déterminants pour que cette aventure prenne forme. Le premier événement eut lieu au milieu des années 90. J’étais au magasin La Cordée et je fouillais dans les cartes de rivières à la recherche de ma prochaine descente. Je feuilletais la carte de la rivière Moisie dont j’avais entendu beaucoup de bien. Derrière moi une voix me dit: « Non, pas cette carte. Si tu veux une belle rivière, prends la carte de la George ». Cette voix, c’était celle de Jean- Marc Chabot, grand canoteur devant l’éternel, qui avait descendu la George en 1992, avec un ami, chacun dans un canot solo. J’ai alors acheté la carte de la George, l’ai regardée et placée dans mon classeur de cartes, en me disant qu’un jour, je me la paierai.

Le deuxième événement se passa en mars 2004, sur un train de VIA, en revenant de Québec. J’aperçus un homme avec une casquette sur laquelle était inscrite quelque chose comme « Cycle for Autism. Help solve the puzzle ». Je pris en note ces quelques mots et dès mon arrivée à la maison, j’essayai de trouver des informations sur ce mystérieux slogan sur le Web. Si ma mémoire est bonne, il s’agissait de 2 pères d’enfants autistes, adeptes de vélo de route, qui avaient décidé de traverser le Canada à vélo, afin d’amasser des fonds pour la recherche sur l’autisme. Grâce à un site Web très bien fait et à l’appui des différentes organisations locales de soutien à l’autisme, ils avaient réussi à générer plus de 1 million de dollars pour la recherche. Je trouvais l’idée inspirante et grandiose.

Le décor idéal pour combattre le spleen

Le troisième élément déterminant a été la lecture d’un livre que j’ai déniché sur Internet. Il s’agit de l’histoire de Leonidas Hubbard, un jeune journaliste de New York, qui a tenté en 1903 avec l’aide de 2 autres personnes, un avocat et un indien métis du nord de l’Ontario, de trouver la route qui menait à la rivière George, à partir de Goose Bay au Labrador. Malheureusement, une suite d’erreurs l’entraîna sur de mauvaises rivières et il mourut de faim, en octobre 1903, dans une cabane de trappeur. On retrouva son journal de bord où il décrivait jour après jour sa déchéance et la mort qui le guettait. Les 2 autres eurent la vie sauve. Avec l’aide du même indien métis, la veuve de Hubbard, Mina, sans expérience elle aussi, organisa dès 1905 une autre expédition afin de retrouver la route d’eau qui la mènerait à la George. L’avocat de New York, évincé de l’expédition de Mina Hubbard, organisa sa propre expédition. Les 2 expéditions se déroulèrent simultanément. Le livre en question raconte l’expédition de Leonidas Hubbard, celle de Mina Hubbard et l’autre de l’avocat. Tous les lacs de tête de la George portent encore les noms que ces gens leur ont donnés à l’époque : « Lac de l’espoir » (Hope Lake), nom donné au moment où il croyait avoir trouvé la route, « Lac Résolution » lac où Mina décida de continuer plutôt que de rebrousser chemin, malgré l’hiver qui approchait…

Après la lecture de ce livre, ma décision était prise. Je descendrais cette rivière. Après réflexion et consultations, la réalisation de cette expédition deviendrait une façon de mieux faire connaître « Les Répits de Gaby » pour enfants autistes que nous avons mis sur pied, il y a plusieurs années. La descente deviendrait le fer de lance d’une collecte de fonds pour enfin doter les RDG d’une résidence propre. Après discussion avec les membres du conseil d’administration et des parents d’enfants autistes, l’idée était retenue. Un an de travail a finalement permis à ce périple de se concrétiser. Le prochain rêve à réaliser sera la résidence pour la quarantaine d’enfants autistes que nous desservons. Et, dans ce rêve, il n’y a pas de mouches noires.

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