Rivière George 2005


Raymond :Après avoir pagayé dans des conditions difficiles au cours des derniers jours, c’est-à-dire vent de face et température fraîche accompagnée d’une fine pluie intermittente, la journée de repos prévue à l’horaire fût plus que salutaire. Nous avons élu domicile sur le site d’une pourvoirie inoccupée à ce temps-ci de l’année, faisant face au pic Pyramide sur la rive opposée de la rivière. Gérald, Pierre-Marc et moi étant amateurs de randonnée en montagne nous ne pouvions résister à l’envie de nous rendre au sommet de celle qui nous rappelle vaguement les pyramides d’Égypte. Exotisme pour exotisme celle-ci valait l’autre. L’ascension se déroula rondement bien que la dernière portion abrupte de la montagne exigea toute notre attention puisque parsemée de pierres instables, rendues glissantes par la pluie des derniers jours.

Le Pic Pyramide, haut de 1 400 pieds

Les efforts et l’énergie nécessaires pour nous rendre au sommet furent récompensés par un magnifique point de vue sur la vallée et ses sommets environnants. Mais ces efforts et cette énergie ne sont rien en comparaison à ceux déployés par les parents d’enfants autistes pour leur offrir un cadre de vie normal malgré leur condition. Une fois au sommet, nous décidâmes d’y planter un drapeau imaginaire ou virtuel (puisque nous n’en avions pas sur nous) en guise de solidarité avec ces familles. La photo jointe en fait foi. Avant de redescendre nous avons dû affronter une pluie glaciale, un brouillard presque opaque, et un vent à vous décoiffer le couvre-chef, quoique ceux qui me connaissent savent que dans mon cas la nature a déjà fait son oeuvre. La météo nous obligea à nous abriter contre un rocher pendant vingt minutes, avant de redescendre dans des conditions sécuritaires. Une randonnée en montagne nous réserve souvent plein de surprises, tout comme la descente de la rivière George.

Étienne : Nous n’avons pas pagayé aujourd’hui, et honnêtement Pierre et Gérald au sommet du Pic Pyramide avec le drapeau virtuel de Pagayer pour l'autismece repos a été pour moi un soulagement musculaire bien apprécié. C’est que je pagaie seul, sans partenaire dans mon canot. Nous sommes un nombre impair (cinq) et il fallait que quelqu’un se sacrifie. En pagayant seul, on n’a pas de partenaire pour équilibrer les forces entre la gauche et la droite (personnellement, je pagaie à droite, et sans partenaire mon canot a une très forte tendance vers la gauche). Il faut donc corriger vers la droite à chaque coup de pagaie, ce qui augmente l’effort… et surtout, ralentit le canot. Lorsqu’il vente, la correction est encore plus importante, ce qui augmente encore plus l’effort tout en réduisant la vitesse. Évidemment, le pagayeur solo est seul pour tirer son canot, en opposition au duoistes qui pagaient « à deux moteurs ». Croyez-moi, une deuxième pagaie fait une différence. Dans les rapides, être seul devient un avantage : le canot est plus facile à faire pivoter, et il devient possible de descendre en faisant des zigzags entre les obstacles. J’adore les rapides.

Mon canot est un Blast, d’Esquif, qui a d’abord été conçu pour deux pagayeurs. A deux, c’est une Porsche : petit, nerveux… avec l’espace nécessaire pour le lunch, mais pas vraiment plus. De tous les canots duo que j’ai essayé (et je crois avoir essayé tous les duos sportifs), c’est le seul qui se pagaie comme un solo, qui est aussi manoeuvrable. En solo, c’est un canot de rapides permettant de transporter tout l’équipement de camping et la nourriture pour trois semaines. Les autres membres de l’équipe pagaient en duo. Pierre-Marc et Gérald ont un Canyon. Ce canot, également fabriqué par Esquif (qui est un commanditaire de notre expédition), est un peu une version duo du Blast. C’est un canot nerveux, pivotant facilement en plein rapide, et donc très performant. Il peut transporter les bagages de deux personnes pour un voyage encore plus long que le nôtre. Son défaut : étant plus facile à faire pivoter en plein rapide, il demande plus de corrections pour aller en ligne droite. De plus, tout comme le Blast, il a une coque façonnée pour réduire la quantité d’eau qui entre lorsqu’on descend au milieu des gros remous… mais cela rend le bateau plus lent lorsque vient le temps de traverser un lac. Raymond et Benoit ont un prospecteur 17 – vous avez deviné qui le fabrique! Il peut porter la même quantité de bagages que le Canyon, tout en étant beaucoup plus performant sur le lac… mais moins manoeuvrable en rapide. Aussi, c’est un canot qui se remplira plus rapidement que le Canyon. C’est une question de compromis! Nous reprenons la rivière demain, et je sais que nous aurons pleins de rapides pour m’amuser en Blast.

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Ad augusta per angusta

26 Juil 2005


Benoît : Pendant mes premières années de latin au Séminaire de Joliette, un de mes professeurs appréciait peu mon excès d’énergie et me faisait souvent copier les pages roses du dictionnaire qui contiennent les fameuses maximes latines. Après de nombreuses lectures et retranscriptions, la maxime « Ad augusta per angusta » m’intrigua. Si je me rappelle bien elle voulait dire « Pour le bonheur, par les voies difficiles ». Elle avait sûrement une origine chrétienne où on louangeait le sacrifice et le don de soi pour atteindre le paradis. Mais outre cette explication religieuse, je pense que nous atteignons une certaine plénitude dans la douleur. Pas que j’ai des tendances au masochisme, bien que plusieurs le pensent, mais quand je fais 7 heures de pagaie, 43 km de rapides, à 9 degrés Celsius, habillé comme un astronaute, les douleurs au dos et mes mains endolories me remplissent de joie. Nous sommes ce soir à « Pyramid Hill », une série de montagnes de plus de 1 300 pieds, qui longent la rivière comme des guets. Un paysage unique qui vaut chaque sou et coup de pagaie investis dans cette aventure. Demain… Devinez ? Nous montons le Pic Pyramide…

Pierre-Marc à l'oeuvre

Pierre-Marc : Cinq hommes, douze jours. Une brochette d’âge allant de 21 à 53 ans. Au départ, je me demandais ce que ça donnerait au bout de 21 jours, mais après seulement 12 jours, je crois déjà en avoir un bon aperçu. Peut-être pourrai-je décrire cette dynamique spéciale qui s’est créée dans notre petite communauté. Nous sommes un groupe d’individus qu’on pourrait qualifier ordinairement de « normaux ». Chacun de son côté a une vie bien remplie et, dans certain cas, enfin sauf pour moi, une vie qui fonctionne à un rythme infernal. Mais tout change dans le bois. À plusieurs centaines de kilomètres de quelque village que ce soit, je serais tenté de citer mon bon ami Benoît : « Dans le bois, rien n’est péché ». Je vous prie de prendre cette citation dans le bon sens. Ces gens fort respectables, que j’ai eu la joie de côtoyer à plusieurs reprises avant cette expédition, reviennent à leur nature profonde : ils redeviennent ce que je pourrais appeler des adolescents. Je vais vous éviter les détails par souci de conserver à cette chronique sa respectabilité. Loin de moi l’idée de me plaindre, en fait je me trouve privilégié d’assister à ce relâchement qui semble leur faire tant de bien, et je dois avouer que je me fais beaucoup de plaisir.

Farce à part, vivre dans une proximité constante avec ces quatre individus est une aventure en soi dans notre aventure. Si vous pouvez vous imaginer vivre 12 jours (et il en reste 10), avec quatre autres personnes, 24 heures sur 24, sans jamais vous éloigner de plus de 500 mètres du groupe, vous comprenez un tiers de notre aventure. Maintenant, ajoutez une extrême interdépendance les uns envers les autres, dans les rapides difficiles, dans les grands moments de fatigue, au moment de préparer les repas, en assignant à chacun des responsabilités en rotation. Souvent nous sommes fatigués après des journées épuisantes à combattre le vent, la pluie, le froid ou encore simplement les insectes. Il est alors primordial que chacun fasse sa part pour ne pas nous battre entre nous. Si vous pouvez imaginer un tel niveau d’interdépendance en plus d’une extrême proximité, alors vous saisissez les deux tiers de notre aventure. Le dernier tiers est à mon avis le plus difficile : il faut perdre notre intimité. La pudeur, que nous conservons dans notre vie sociale, la p’tite gêne disons, disparaît dès les premiers jours, qu’on le veuille ou non. Que ce soit pour nous changer le soir ou pour revêtir nos habits de canot, pour libérer des odeurs de toutes sortes, pour se laver ou simplement pour soulager nos besoins naturels, le groupe n’est jamais loin. Ajoutez donc ce dernier tiers aux autres et surtout n’oubliez pas les 21 jours, vous aurez alors une idée à peu près précise de notre aventure. Mais, malheureusement pour vous, pour comprendre exactement cette aventure, il faut y être.

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